Le concept clé permettant de maintenir la mascarade le plus longtemps possible a été proposé par Theresa May elle-même : Brexit means Brexit (le Brexit, c’est le Brexit). Or précisément, non. Une sortie n’est pas une sortie. C’est un voyage d’un endroit à un autre, et si une majorité avait souhaité démarrer le voyage, il n’y a aucun accord, et donc aucun mandat démocratique référendaire, sur la destination.
Les slogans sur la sortie de l’Union européenne sont une imposture, car ils ne disent pas pour quoi faire, et antieuropéens de droite et de gauche ne souhaitent certainement pas la même chose. Take back control – reprendre le contrôle – est un mot d’ordre séduisant mais absolument vide de sens. La preuve en est que, bien que la sortie de l’euro alimente les librairies à flux continu, tous les pays développés pratiquent la même politique monétaire que l’eurozone.
Au Royaume Uni, le dernier carré des tenants d’une sortie quelles qu’en soient les conditions n’ont plus d’autre argument que le caractère sacré et inaltérable de l’expression du peuple, là encore vide de sens. Ils refusent par principe une nouvelle consultation des citoyens, malgré les difficultés apparues depuis le vote initial. À ce compte, pourquoi être revenu sur le référendum britannique de 1975 ayant acté le maintien dans l’Union ?
Theresa May se prévaut du résultat du référendum et s’oppose farouchement à toute remise en cause de sa politique de négociation, principalement guidée par la leçon qu’elle a choisi de tirer du scrutin : l’hostilité aux étrangers et la liberté de conclure des accords commerciaux propres. L’accord négocié avec les autres pays européens en résulte assez logiquement, mais était-ce le seul possible ? Certainement pas. Elle a empêché tout débat sur ce point, en refusant de divulguer les études internes du gouvernement sur le Brexit et en se retranchant derrière la menace d’un Brexit sans accord. La violence du vote aux Communes, avec un rejet par 432 voix contre 202, est absolument inédite dans l’histoire britannique, mais un Brexit sans accord se heurterait à un front tout aussi virulent, ainsi bien sûr que le choix de rester dans l’Union européenne.
La classe politique britannique est désormais au pied du mur. La sortie est pour dans deux mois et aucune solution possible ne recueille une majorité quelconque. Le parti gallois Plaid Cymru a proposé un nouveau vote de la Chambre des communes sur l’ensemble des options, avec des tours successifs d’élimination des possibilités les moins consensuelles pour dégager la voie la moins mal partagée. Le Labour exige comme prix de sa participation aux discussions que le No Deal en soit strictement exclu, mais ne fait aucune proposition. Le recours à un second référendum (entre quoi et quoi ?) est également évoqué, alors que le Remain est désormais clairement majoritaire dans l’opinion… On commence surtout à s’accorder sur un report de la date de sortie pour permettre aux Britanniques de poursuivre leur débat national sur ce qu’ils souhaitent faire ensemble. Ils auraient pu y songer avant.
L’un des points intéressants est que nos amis les Anglais, ayant essayé de se tirer les premiers, ont publiquement démontré que la sortie n’était pas un programme. Partout les opinions publiques ont resserré les rangs autour de l’appartenance européenne. Jean-Luc Mélenchon, il y a deux ans, prévoyait des référendums en veux-tu en voilà. Aujourd’hui, il écarte de ses listes tous les souverainistes. Aléxis Tsípras parade au bras d’Angela Merkel et Matteo Salvini vante ses négociations européennes. Quant au parti lepéniste, qui, depuis dix ans, mettait la sortie de l’euro au cœur de sa politique économique, il vire brutalement sa cuti et se félicite d’une Europe qui lui permet de travailler avec Salvini.
La sortie de l’Europe n’était jamais que le fantasme d’une autre politique tellement plus belle, tellement plus grande… et qui n’existe nulle part. Il aura suffi qu’un pays le premier viole ce rêve et tente d’en cueillir la fleur pour qu’elle s’évanouisse dans sa main et la laisse vide, à la vue de tous.
Arthur Colin, Sauvons l’Europe.